L'affaire Durand ou "l'affaire Dreyfus de la classe ouvrière"

Vendredi, 25 Novembre, 2016 -
14:30 à 17:30
Rouen, Salle de la cour d'assises (36 rue aux juifs)

L'affaire Durand ou "l'affaire Dreyfus de la classe ouvrière"
Dans le cadre des journées régionales d'histoire de la justice

 

Plus d'info : Association Française pour l’Histoire de la Justice (Ministère de la Justice 13 place Vendôme, 75042 Paris cedex 01)
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Le 25 novembre 1910, la Cour d'assises de Seine Inférieure condamne à mort Jules Durand pour complicité morale d’assassinat : il est accusé, sur la base faux témoignages, d’avoir commandité le meurtre d’un jaune parce qu’il est secrétaire du syndicat.

Sa condamnation enflamme les travailleurs du monde entier, une campagne pousse le président de la république à commuer sa peine.

Il est élargi de la prison « bonne nouvelle » de Rouen le 16 février 1911, mais il faudra plus de 7 ans pour que Jules Durand soit définitivement innocenté par la Cour de Cassation, qui dans un arrêt du 25 juin 1918, le réhabilitera au terme d’une seconde enquête établissant que les témoins à charge avaient menti à la demande de la principale entreprise du port.

Mais il ne retrouve pas sa dignité, terrassé par l’injustice de sa condamnation, Jules Durand avait sombré dans la folie, du fait de sa condamnation et des conditions de son incarcération et meurt fou, à l’asile de Saint Etienne du Rouvray en 1926..

Bien moins connue du grand public que les affaire DREYFUS, SEZNEC ou DOMINICI, l’affaire Jules DURAND est pourtant la plus grande erreur judiciaire que la France ait probablement connue au XXéme siècle ! Contrairement au capitaine DREYFUS, condamné à la déportation par le Conseil de guerre en 1894 et 1899, l’ouvrier Jules DURAND a, lui, été condamné à mort ? Contrairement à SEZNEC ou DOMINICI, dont la culpabilité a fait débat et donné lieu à une filmographie importante et à la publication de maints ouvrages, Jules DURAND a, lui, été reconnu innocent, en 1918, et définitivement réhabilité par la Cour de Cassation.

Qui était Jules Durand ?

Il était le secrétaire du syndicat CGT des charbonniers du Havre depuis le début de l’année 1910.

Ces charbonniers, qui chargent et déchargent le charbon dans les soutes des bateaux, ont de moins en moins de travail. Il sont 700 à 800 réguliers, auxquels s’ajoutent autant de trimardeurs, plus ou moins vagabonds,
Embauchés à la journée, la plupart ne travaillent que trois jours par semaine payés au rendement, Ils gagnent une misère pour un travail exténuant, dans la poussière de charbon, vivent dans des conditions épouvantables, dans des garnis infects ou la tuberculose se propage à un rythme effrayant, avec un alcoolisme terrible (on estime que 90% des charbonniers l’étaient).

Dans le courant de l’année 1910, le syndicat des charbonniers se réorganise, chasse les « ivrognes, les incapables » , désigne un nouveau bureau, élit un nouveau secrétaire, le seul qui s’était proposé, Jules Durand : trois mois après, il y a 400 adhérents parmi les réguliers.

Pacifiste, membre de la ligue des droits de l’homme fondée quelques années plus tôt au moment de l’affaire Dreyfus, buveur d’eau, militant d’une association anti- alcoolique, auditeur assidu de l’université populaire de la bourse du travail, il rallie les syndicalistes révolutionnaires ou anarcho-syndicalistes de la CGT majoritaires au congrès de 1909, qui se battent pour la grève générale.

Les charbonniers en grève

En août 1910 la situation des charbonniers s’aggrave du fait de l’introduction de procédés de déchargement qui font disparaître nombre d’emplois.

Malgré les hésitations, car le syndicat jeune n’a que 5000 francs en caisse, la grève est votée le 18 août 1910, « contre l’extension du machinisme, contre la vie chère, pour une hausse des salaires et pour le paiement des heures supplémentaires, l’installation de douches sur les quais»..

Les patrons décident l’épreuve de force pour éliminer le syndicat. Ils refusent toute négociation et multiplient les provocations. Ils créent de toute pièce une « union corporative antirévolutionnaire » pour lutter contre les anarcho-syndicalistes, qui organise des provocations, embauchent des jaunes pour travailler, payés double, nourris et logés sur les bateaux, pour ne pas rencontrer les grévistes. La police est sur les quais, les arrestations pour entrave à la liberté du travail se multiplient.

La mort d’un jaune

Le 9 septembre, un jaune, Louis Dongé, qui avait travaillé sans arrêt les 7 et 8 septembre, ivre, sort un revolver contre quatre charbonniers grévistes non syndiqués

dans un bistro du port. C’est la bagarre, il est désarmé et roué de coups. Il meurt le lendemain à l’hôpital. Les quatre agresseurs sont arrêtés.

La machination est en marche

La Transat présente 10 charbonniers non grévistes qui témoignent (on le saura quelques mois après, ils ont tous été achetés) que l’assassinant avait été voté par l’assemblée générale, à l’instigation personnelle de Jules Durand, qui aurait prémédité, organisé l’assassinat.
Une enquête sommaire est menée sur le port, et le 11 septembre au matin, la police arrête chez eux Jules Durand, ainsi que les frères Boyer, tous les responsables du syndicat des charbonniers. Ils sont inculpés pour complicité morale d’assassinat et incarcérés. Trois autres responsables du syndicat sont licenciés au motif d’être « les complices de l’assassin Durand ».

Le juge d’instruction, fortement appuyé par sa hiérarchie, engage alors une instruction à charge. Les témoins à décharge (dont les quatre agresseurs) ne sont pas écoutés. La police, bien informée par ses indicateurs met en doute la version officielle, sans effet. La presse s’acharne contre les syndicalistes.

La CGT organise la solidarité avec Jules Durand, tout au long de l’instruction l’ambiance dans le pays est surchauffée.

Le procès a lieu en novembre 1910 à la Cour d'assises de Rouen.

L'avocat général dénonce avec acharnement Jules Durand : il obtient la condamnation à mort de Jules Durand, le 25 novembre. Les frères Boyer sont acquittés et les quatre coupables condamnés l'un à 15 ans de travaux forcé, deux à 7 ans, le dernier étant relégué.

A l’annonce du verdict, Jules Durand tombe en syncope, on doit l'emmener. Il ne reprend connaissance qu’au sein de sa cellule où on l’a revêtu d’une camisole de force. Dans le couloir de la mort, dans l’isolement total, il ne se déplace qu’enchaîné et le visage recouvert d’une cagoule noire.

Au Havre, c'est la révolte et la colère. En solidarité, une grève générale éclate à partir du 28 novembre, paralysant toute la ville. Les gens ont encore à l'esprit l'affaire Dreyfus, la CGT placarde des affiches titrées « ce qui fut fait pour l’officier Dreyfus devrait être fait pour l’ouvrier Durand ».

Au niveau international, la solidarité se met en action : la Fédération internationale des ports et docks organise des grèves dans les docks en Angleterre et aux Etats-Unis.
La ligue des droits de l’homme lance un vaste mouvement de protestation, les parlementaires multiplient les prises de position, jusqu’à l’évêque de Rouen!

Face à tout ce mouvement, le président de la république, Armand Fallières, commue le 31 décembre la peine de mort en sept ans de réclusion criminelle.

L'indignation augmente : la commutation en 7 ans de prison laisse entendre que Durand est tout de même responsable. Il faut attendre le 16 février 1911 pour qu’il soit élargi de la prison Bonne nouvelle de Rouen.
Malheureusement, Jules Durand n'a pas supporté l'affaire, la camisole et l’isolement : il est devenu " fou " et ne retrouvera jamais la raison. Arrivé au Havre, lui le colombophilie actif, tue ses pigeons. Sa famille et sa compagne sont obligés de l’interner en asile psychiatrique (à Quatre Mares à Sotteville les rouen) en avril 1911. C’est là qu’il mourra le 20 février 1926.

La révision entreprise en 1912 par la Cour de cassation proclame Jules Durand innocent, le 15 juin 1918.
Mais aucun patron du Havre, aucun juge, aucun accusateur rétribué ne fut jamais inquiété.

Nous, nous n’oublions pas Jules Durand et son combat !

 

 

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